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"Attention au francolavage !"

"Attention au francolavage !"

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Fabienne Delahaye est fondatrice et présidente de MIF Expo, le Salon du Made in France qu’elle a créé en 2012. Experte du "made in France", nous l’avons interrogée sur sa vision du secteur.
Fabienne Delahaye/ TheCrazyFrench

[Cet article a été initialement publié dans le guide IDÉES PRATIQUES #4: La transition écologique Made in France, réalisé par ID L'Info Durable.]

Lorsque l’on s’intéresse à la fabrication française, on se rend compte qu’il y a "made in France" ET "made in France" ?

Je dirais plutôt qu’il y a "made in France" et francolavage. Il s’agit d’une technique qui consiste à faire croire qu’un objet est fabriqué en France alors qu’il ne l’est pas. Ainsi, nous recommandons de se méfier des mentions comme "100 % conçu en France", "french touch", "marque française depuis…", ou encore de visuels utilisant la Tour Eiffel, le drapeau français, le coq.

Si aucune mention d’origine n’est précisée, il est fort probable que l’objet soit "made in" ailleurs. En revanche, quand il est véritablement réalisé sur le territoire, le fabricant souhaite afficher la mention d’origine. Il peut d’ailleurs demander l’IMF (information d’indication "made in France") auprès des douanes qui ont vocation à indiquer si le marquage "made in France" est possible (le produit devra être conforme aux règles de l’IMF, notamment afficher une codification douanière différente de celle de ses matières premières). L’entreprise pourra également demander la certification OFG : "Origine France Garantie" (certifiée par un organisme indépendant).

Quelle est l’histoire du fabriqué en France ? Comment en sommes-nous arrivés là ?

Si je devais résumer la situation, je dirais que jusque dans le début des années 70, la plupart des produits manufacturés que nous consommions étaient fabriqués sur le territoire et notre balance commerciale était excédentaire notamment parce que nous importions moins de marchandises. Et puis les choses se gâtent : grande politique de tertiarisation de l’économie depuis plus de 40 ans qui ne semble supporter aucune alternative. La France avait pourtant construit sa puissance industrielle sur quelques fleurons : Alstom, Alcatel, Lafarge, Arcelor... Elle les a abandonnés les uns après les autres entraînant dans cette désindustrialisation les PME, tous les sous-traitants de ces grands groupes. Quant aux traités multifibres, ils ont eu raison d’une grande partie de notre industrie textile. La désindustrialisation est catastrophique d’un point de vue économique, social, et même écologique.

Les consommateurs, malgré la pression sur l’offre et les prix, ont toujours gardé un attachement aux savoir-faire français ?

Oui bien sûr, il y a un fort attachement aux savoir-faire. Mais au-delà de ceux-ci, les consommateurs sont de plus en plus conscients des véritables enjeux qui se jouent avec le "made in France". Préservation et transmission des savoir-faire bien sûr, mais également de l’emploi - près de 2 millions d’emplois industriels ont été perdus -, préservation de l’environnement, possibilité de retrouver un service après-vente...

Le salon MIF Expo est comme un thermomètre du marché du "made in France". Or, il a accueilli 75 exposants et 15 000 visiteurs en 2012, année de sa création, et 570 exposants et 80 000 visiteurs lors de la dernière édition en 2019. C’est bien qu’il se passe quelque chose ! D’autant que la crise sanitaire a mis en évidence que la désindustrialisation est un énorme facteur de fragilité.

Pour autant MIF est synonyme de prix plus chers inéluctablement, au niveau des entreprises et, in fine, pour les consommateurs ?

D’abord le "made in France" n’est pas forcément plus cher qu’un produit concurrent importé. Quelques exemples : DOP, le shampoing le moins cher au litre (et inventeur du shampoing en France dans les années 30), la brosse à dents de Bioseptyl (la dernière entreprise de brosse à dents en France), les jeans 1083, ou encore les produits ménagers Alfapac, le savon Marius Fabre, les bonnets Blancs bonnets et tous ceux que j’oublie.

J’ajoute que les articles "made in China" ne sont pas nécessairement bon marché : des tennis Nike à plus de 150 euros, des tailleurs Sandro à plus de 500 euros... Une grande partie des marques que vous connaissez fabriquées en Asie affichent des prix tout à fait exorbitants. Enfin, si l’on additionne les coûts en termes d’emplois, de déficit de note balance commerciale, de dette, je conclurai que ce qui nous coûte à tous très cher, c’est de ne pas consommer plus "made in France". Acheter un t-shirt 5 euros et ne plus avoir d’emploi, est-ce une économie ?

Au contraire, certaines chaînes de valeur ne peuvent plus être réalisées localement, il faut se faire une raison ?

Autant la crise sanitaire a mis en lumière et de manière aveuglante la problématique de la désindustrialisation, notre dépendance vis-à-vis des importations de produits indispensables, autant penser que les relocalisations d’entreprises seront massives, systémiques, me semble peu probable. D’abord parce que les mêmes causes produisent les mêmes effets et que les raisons pour lesquelles les entreprises ont délocalisé n’ont pas disparu avec la crise sanitaire : économie très financiarisée et mondialisée, peu de patriotisme des grands groupes français, concurrence déloyale y compris en Europe (absence d’harmonisation des normes sociales, environnementales, salariales, fiscales).

D’autre part, car les chaînes de valeur sont organisées de façon très complexe, dispersées dans le monde, et le rapatriement de toute une chaine de production est devenue compliqué. Ponctuellement, des entreprises, PME, ETI (entreprises de taille intermédiaire), relocaliseront sans doute. Bien entendu, je fais le vœu que nos politiques prennent le problème de la désindustrialisation à bras le corps et s’engagent dans une politique de soutien à nos entreprises industrielles dont pourrait faire partie une promotion résolue et assumée du "made in France", notamment pour la défense de nos emplois, des territoires, et pour la sauvegarde et la transmission de nos savoir-faire. On pourrait d‘ailleurs commencer par une commande publique qui favorise le "made in France".

Entretien réalisé par Valère Corréard.

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