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Pourquoi tant de marques éthiques stoppent-elles leur activité ?

Pourquoi tant de marques éthiques stoppent-elles leur activité ?

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Fermetures, liquidations ou plans sociaux… Cette année, les mauvaises nouvelles s’enchaînent pour de grandes enseignes comme San Marina, Go Sport ou Camaïeu. On parle moins des galères des petites marques éthiques, engagées pour produire mieux dans tous les domaines (mode, alimentation, jeux, édition...), touchées par un lot de difficultés conjoncturelles et contextuelles… Et parfois obligées de stopper leur activité, pour moult raisons entremêlées.

Chez Bien ou Bien, nous avons observé bon nombre de fermetures et liquidations judiciaires en 2022 et au premier semestre 2023. Pourquoi ? Comment ? Nous avons posé la question à des créateurs et créatrices. Parce que mieux comprendre leurs difficultés nous encourage à soutenir encore plus les marques engagées !

👉 Le contexte, bien sûr, a pesé lourd.

La pandémie de Covid-19

Chez Délicassie, l’atelier fleurait bon le pain d’épices et les petits biscuits tout juste sortis du four. Antoine Boileau a créé cette marque artisanale à Vercel (Doubs), en 2015, avant de lancer Hubert, une marque de barres énergétiques, avec l'arrivée d'un associé : “dès le démarrage, nous avons eu une croissance exponentielle. Notre petit outil de production a été vite saturé. Pour ne pas freiner notre développement commercial, nous avons fait le choix d’investir en s’endettant auprès d’une banque”

Mais voilà, les travaux démarrent peu avant l’arrivée du Covid-19. Le duo décide de poursuivre cet agrandissement, avec de grosses charges à rembourser… Et un volume de ventes réduit. “On savait qu’on avait des difficultés, alors on a tout fait pour maîtriser les coûts. Mais une entreprise est une grosse consommatrice de cash. Quand la trésorerie est tendue, on n’a pas les reins pour faire face à des déconvenues”, dit l’entrepreneur. Pour ne rien arranger, “lors de leur reprise, les salons ont instauré des jauges. Or, quand on est une petite structure, si on paie plusieurs milliers d’euros pour un stand, il faut qu’il y ait un retour immédiat sur investissement” se souvient-il. Ce que n'a pas permis pas la fréquentation réduite de ces périodes. 

Même retour pour Nolwenn Colléter, qui lance la marque de puériculture (gigoteuses, doudous…) Andarta tout début 2020. “Pour créer l’activité, j’ai contracté pas mal de prêts pour la production, le marketing digital et le site. Quand la pandémie est arrivée, j’ai dû m’adapter pour rester visible”. Dans son business plan, Nolwenn avait prévu de participer à bon nombre d'événements physiques comme des pop-ups. Leur annulation a généré “moins de flux entrants que prévu. Cela a tapé dans ma trésorerie”. 

Quand la pandémie est arrivée, j’ai dû m’adapter pour rester visible.

Pour Christina Lumineau, co-fondatrice de la maison d’édition Laplikili, le Covid-19 a aussi été un coup de massue : “on existait depuis 2017. Fin 2019, nous préparions une nouvelle collection, en dépensant beaucoup d’argent pour imprimer. On comptait sur les salons du printemps 2020 pour la faire connaître”. Vous devinez la suite… “On a essayé de relancer plus tard, mais un livre sorti fin 2019 était obsolète. Dans les librairies, il y a beaucoup de nouveautés, notamment en jeunesse, les livres tournent beaucoup. Nous n’avions pas le poids des grands éditeurs, qui continuent à produire quoiqu’il arrive", observe-t-elle.

Un savon sur un porte-savon
Photo de Nadia Clabassi sur Unsplash

Autre exemple, Déco’smétique et ses accessoires facilitant l’usage des cosmétiques solides, comme le porte-savon aimanté. L’aventure a duré 3 ans. En février 2020, leur campagne Ulule marche très bien : “ça part fort, on vend 1700 produits en un mois. Mais les difficultés commencent juste après. À cause du confinement, les livraisons des contreparties sont retardées de plusieurs mois. La campagne nous permet d’avoir un apport important, mais on ne fait pas une grande partie du chiffre d’affaires prévu cette année-là”, se rappelle Simon Guyomarch, co-fondateur. 

Simon voit un autre effet du Covid-19 dans la société, la multiplication des entrepreneurs et entrepreneuses tentant leur chance dans le domaine de la consommation responsable : “cela a dilué le chiffre d’affaires de chacun. Le marché du zéro déchet, encore en construction avant la pandémie, a subi beaucoup d’évolutions. Les entreprises qui n’arrivaient pas à être rentables ont arrêté”. Pour lui, le constat est clair : “Nous étions novateurs, il fallait être sur le marché le plus vite possible. Or, il y a eu de plus en plus d’alternatives proposées par des sociétés avec des moyens plus importants et des coûts de revient moins chers. Nous n’avons pas réussi à nous placer comme les leaders du porte-savon”. 

Le marché du zéro déchet, encore en construction avant la pandémie, a subi beaucoup d’évolutions. Les entreprises qui n’arrivaient pas à être rentables ont arrêté.

La vague de l’inflation

La suite ? Cela n’a échappé à personne : les prix ont fortement et soudainement grimpé en 2021 et en 2022, pour plusieurs raisons. Matthieu Jungfer, le co-fondateur d'Atelier Unes, une marque de vêtements durables, co-créés et fabriqués en Europe, observe : "le coût de la confection et des matières premières a augmenté, tout comme l’énergie. Tout ce qui structure les marges d’une entreprise s’émiette alors”. Dans un article décortiquant en détail les difficultés, il démontre avec son associée Violette Dedeban les fortes augmentations subies entre 2020 et 2022. Par exemple, le prix du coton bio multiplié par 2,8. Et le coût de la confection d'une pièce a augmenté de 15%.

Toujours dans le secteur du textile, mêmes problèmes du côté de la puériculture. “En 2022, quelles que soient mes actions, mon modèle économique ne tenait plus. J’avais fait le choix de la qualité des matières premières et des fournisseurs. L’inflation a touché tous mes coûts… y compris les tarifs de la Poste ! Ce qui a grandement rogné ma marge”, raconte Nolwenn Colléter, fondatrice d’Andarta. Quand, en septembre, son atelier de production portugais ferme, Nolwenn décide d’arrêter : “j’avais envie de continuer, mais il y avait les faits concrets. Je ne me voyais pas continuer à chercher sans cesse des fonds, alors que j’avais déjà du mal à rembourser mes prêts”. Elle clôture donc le chapitre.

Le coût de la confection et des matières premières ont augmenté, tout comme l’énergie. Tout ce qui structure les marges d’une entreprise s’émiette alors.

Chez Délicassie et Hubert, les marques gourmandes d’Antoine Boileau, les prix des ingrédients impactent fortement l'entreprise. En juin 2022, son associé quitte la société. Antoine tient la maison à bouts de bras et fait un point sur sa situation comptable à la fin de l’été. “Je redressais la barre. Je me disais qu’il fallait tenir jusqu’à Noël, une grosse période d’activité, pour trouver ensuite des solutions, par exemple en levant des fonds", se remémore-t-il. Le même jour, coup de tonnerre : “je reçois les prévisions de notre contrat EDF. En parallèle, j’avais déjà connaissance des estimations des futures augmentations des prix du sucre et de la farine, qui se sont avérées pires que prévues”. 

Ces hausses avaient été anticipées, mais pas avec cette ampleur. “Toute notre trésorerie allait passer dans ces augmentations et on ne pouvait plus augmenter nos prix sans atteindre un plafond de verre”, rapporte Antoine. Pour l’entrepreneur, c’est un signal d’alerte. Il décide d’arrêter la société. Il règle toutes ses factures à ses fournisseurs, avant de se rendre au tribunal de commerce pour clore l’aventure. Aujourd’hui, il est directeur d’une scierie, “le temps de respirer, d’avoie une stabilité… Avant peut-être de lancer d’autres projets !”

De la farine sur un plan de travail
Photo de Anshu A sur Unsplash

Une baisse du pouvoir d'achat

Cette hausse des matières premières et de l'énergie est concomitante d'une baisse des ventes. Logique, en période d'inflation, on se serre la ceinture. L'équipe d'Olly Lingerie l'expliquait bien dans un post Instagram en octobre 2022. Dans ces conditions, il est possible de réduire certaines dépenses, mais il reste des coûts incompressibles (stockage, site web, salaires, impôts...).

“Les gens ont commencé à moins acheter et à plus épargner avec la crise et l’inflation. Tous les marchés de la consommation responsable en ont pris un coup, à commencer par l’alimentation bio”, observe Matthieu Jungfer. Du côté de chez Déco’smétiques, Simon et son associée sont d’ailleurs allés sur le terrain des cosmétiques, avec des baumes produits à partir de fruits et légumes invendus chez Biocoop… Destinés à être commercialisés dans cette même enseigne. “Nous sommes arrivés au moment de la crise des Biocoop et du marché du bio en général”, constate Simon. En effet, une quarantaine de points de vente a dû fermer l’année dernière. 

Pour faire face à l’inflation et à la perte de pouvoir d’achat, Déco’smétique a tenté d’adapter sa gamme, “avec des produits moins chers, en sortant par exemple un porte savon minimaliste à 10 euros. Mais les matières premières augmentent… Et la concurrence aussi, sur le marché du zéro déchet. On a été plus d’acteurs à moins bien marcher. Nous avons pris la décision de s’arrêter avant d’arriver au point où l’on aurait plus le choix.” 

En parallèle, les clients et clientes ont commencé à acheter moins de neuf, tout du moins dans le secteur de la mode. “Dans notre domaine, beaucoup de gens se sont tournés vers la seconde main. C’est aussi éthique (voire plus) et moins cher. Cela a pris une part de marché à la mode éthique neuve”, dit Matthieu d’Atelier Unes. 

L’augmentation des coûts d’acquisition

Ce facteur-là, débarqué dans la vie des marques à peu près au même moment, est un poil plus technique : pour la petite définition, le coût d’acquisition est le montant dépensé par une entreprise pour acquérir un nouveau client, via des actions marketing ou commerciales, notamment des publicités sur les réseaux sociaux. 

“Pour les DNVB (Digital Native Vertical Brand, marques en ligne uniquement), les réseaux sociaux représentaient un canal pas si cher pour se faire connaître, sans nécessité de faire de la pub à la télé ou d’avoir une boutique avec un pas de porte… Cela change en 2021/2022, car les coûts d’acquisition montent, jusqu’à ce que ce ne soit plus rentable de faire des pubs Facebook pour acquérir de nouveaux clients”, explique Matthieu Jungfer, qui a vu le marché de la vente en ligne exploser en 2020… Puis fortement ralentir.

Autre marque touchée par ce phénomène, Les Puzzles du Poulpe, fondée en 2021, par Christophe Lemaire. Le projet ? Des visuels dessinés par des illustrateurs et illustratrices et surtout du Made in France. “Je m’occupais seul de la logistique, de la gestion de la fabrication, de la création du site”, explique-t-il. Le démarrage est rapide, suivi d’un trou d’air : “quand j’ai voulu développer ma présence digitale, j’ai eu de gros problèmes dans l’utilisation de Google, Instagram et Facebook. Pour obtenir une communication performante ET rentable, c’est un vrai cauchemar ! Devoir forcément passer par ces géants du numérique pour faire tourner mon e-commerce m’a apporté bien des difficultés. Les coûts d’acquisition et le fonctionnement de ces outils m’ont vraiment freiné”.

👉 Pandémie mondiale, hausse des prix... En plus de ce contexte très, très complexe, les créatrices et créateurs interrogés soulignent les difficultés conjoncturelles des marques engagées. 

Des réglementations compliquées

L’équipe de Kippit a subi une série d’aléas. Lancée en 2020 sur Ulule, la marque proposait de "l'électroménager agréé par l'avenir", avec Jaren, une bouilloire multifonction durable, réparable et Made in France. Et un combat clair : lutter contre l'obsolescence programmée.

Au début, la production de la bouilloire avance lentement mais sûrement. À l’été 2021, Kippit a trouvé un système de chauffe en Chine et un partenaire français pour la fabrication de la partie inox. La première difficulté concerne les réglementations : “nous voulions un produit réparable et durable, explique Kareen Maya Lévy, co-fondatrice avec Jacques Ravinet. Chaque pièce devait pouvoir être changée. Mais, pour obtenir la norme CE, le système de chauffe doit être vraiment fixé à la cuve. Nous avons mis 8 mois à trouver une solution technique”. Une fois ce sujet résolu, un premier verrou est levé… Au prix d’un long et coûteux changement de process.

Un fournisseur défaillant

Bouilloire Kippit

“Fin 2021, nous apprenons que notre prestataire pour la fabrication de la cuve en inox cède son entreprise. Il communiquait beaucoup sur sa collaboration avec nous, dans l’espoir de bien vendre. Jusqu’à présent, les calendriers de livraison bougeaient, mais on pouvait l’expliquer à notre communauté, les kippers. Là, c'est devenu plus compliqué”, explique Kareen. Pourtant, tout le monde est de bonne volonté. Les deux associés rencontrent le repreneur en janvier 2022 : “il nous dit que des étapes ne fonctionnent pas, notamment sur une partie de l’emboutissage profond. Il veut tout remettre à plat”. À ce moment-là, le plan de financement n’est plus tenable. Impossible de continuer, ni d’approfondir la Recherche & Développement sur d’autres produits. “Alors, on recherche des fonds à travers un bridge [un mode de financement temporaire, ndlr]. On a des pistes, mais c’est long”, raconte Kareen.

Arrive alors un autre gros souci. 50 pièces de la cuve en inox sont livrées. Parfait, mais Kippit en veut 2000. “Notre partenaire nous dit alors que ce n’est pas fabriqué en séries, mais arrangé à la main. Le process industriel n’était toujours pas calé. On ne tient plus en trésorerie : on se met sous la protection du tribunal de commerce, pour un redressement judiciaire”.

Pendant l'été 2022, nouveau rendez-vous au tribunal. Kareen et Jacques ont dans leurs besaces des lettres d’intention d’investisseurs prêts à les aider à passer le cap. “Juste avant, nous avons notre réunion hebdomadaire avec notre fournisseur. On a 200 pièces à venir chercher. Ce sera bon ? La réponse est non. L’entreprise n’y arrive pas, ce ne sera pas avant mars 2023, au mieux. Pour nous, cela sonne la fin”. Le duo ne dégainera pas ses précieux courriers. La liquidation judiciaire sera prononcée en septembre 2022.

Un tissu industriel français pas encore prêt ?

Le bilan ? “Des choses ont pris du temps. Certains problèmes ont été suivis et résolus, d’autres pas vus au bon moment. Malgré le soutien des investisseurs et des kippers, nous n’avions plus les épaules pour creuser des alternatives. On ne pouvait plus s’engager sur une date de livraison”. Toujours largement en contact avec la communauté Kippit, Kareen analyse : “nous avons eu un fournisseur défaillant. Mais c’est aussi un problème du tissu industriel français. Il y a eu un choc des cultures entre une start-up industrielle ouverte et une PME à la culture industrielle différente, qui ne communique pas sur ses difficultés”.

C’est “un accident industriel, à cause de cette approche trop fermée”. Mais aussi à cause du manque cruel de fournisseurs hexagonaux dans certains domaines, comme l'inox. Il y a quelques jours, Kareen a annoncé la reprise officielle de Kippit par BIM Group. L'entrepreneuse construit désormais un autre projet, "toujours dans une recherche d’impact et de sens. On a fait avancer des éléments, ça en valait la peine".

On a fait avancer des éléments, ça en valait la peine.

Sur cette problématique du tissu industriel français à reconstruire, parlons aussi de Christophe Lemaire. Le fondateur des Puzzles du Poulpe n’a pas pu lancer sa deuxième collection, prévue pour fin 2022. “Mon ADN, c’était le Made in France. J’ai contacté mon fournisseur en mai/juin, il m’a annoncé 5 mois de délai, au lieu de 4 semaines auparavant. C’est le seul en France, sans lui je ne pouvais pas continuer. Cette entreprise a eu une forte augmentation des demandes, sans augmenter sa capacité de production. Dans tous les cas, cela me mettait hors délai, malgré de beaux projets prévus, notamment avec Sea Shepherd”.

Quid d’une fabrication européenne ? Cela remettait en question le cœur du projet. C’est la goutte d’eau, qui s’ajoute à une rentabilité moyenne. Christophe jette l’éponge, “cela devenait trop délicat de continuer". “J’ai aussi été en burn out, avec tous ces problèmes à régler. J’étais épuisé, seul, isolé”, dit-il. Et maintenant ? Christophe a besoin d’un break. Et d'ajouter : “bien sûr, il y a aussi beaucoup de points positifs ! J’ai appris beaucoup, j’ai eu des échanges incroyables et j’ai fait exister des produits qui ont rendu les gens super contents”.

Les aléas des petites entreprises

Pour Laplikili, après les effets du Covid-19, le deuxième gros souci arrive en février 2021. Un aléa lié à l'équilibre économique fragile des petites entreprises. La maison d’édition réalisait alors le magazine pour enfants d’une fédération de sport. "Lorsqu’ils perdent beaucoup de licenciés, ils nous annoncent qu’ils cessent la collaboration car leur budget a diminué. C’est un gros coup dur, car ce travail nous permettait de financer les livres. Sans financement et sans visibilité, je n’avais plus l’énergie, raconte-t-elle. J’avais envie de passer à autre chose et d'arrêter de me battre. Je parlais avec d’autres petits éditeurs, tous avaient les mêmes difficultés, certains arrivaient à survivre un temps, mais c’était une course contre la montre”. La décision est prise début 2022. 

Des fils de coton
Photo de 🇸🇮 Janko Ferlič sur Unsplash

La recherche du prix juste = des marges plus fragiles

Hausse des coûts, baisse de la consommation, accidents industriels ou aléas de la vie d'une entreprise... Derrière toutes ces difficultés, la question du prix des produits. “Les marques éthiques cherchent des prix justes. Nous ne faisions pas de soldes et des marges pas énormes (2,5 à 3%, contre 7 à 10% pour une grande marque comme Sandro) pour rendre les produits accessibles. Mais ce n’est pas terrible en terme de résilience... Quand les marges s’émiettent pour telle ou telle raison, la seule solution est d’augmenter les prix, afin de ne pas vendre à perte… Ce qui apporte encore plus de difficultés, puisqu’on conserve le même positionnement. Nous n’avons pas eu les reins assez solides pour tenir”, explique Matthieu, d’Atelier Unes. 

Les marques éthiques cherchent des prix justes. Nous ne faisions pas de soldes et des marges pas énormes, pour rendre les produits accessibles.

Au final, “on avait levé des fonds se développer : trouver des matières innovantes, recruter plus de gens. Sauf qu’on a donc eu plus de charges, sans les résultats escomptés. Pour toutes les raisons énoncées avant. Nous avons été rapidement à cours de cash. Nous avons pris des risques et ces risques n’ont pas été payants, malgré nos efforts”. Pour Matthieu et Violette, c'était le moment de passer à autre chose : “La décision a été unanime, pendant l’été 2022. On a attendu de voir les résultats de plusieurs lancement des produits. Les objectifs n’ont pas été atteints ”.

Continuer encore ?

Globalement, les créateurs et créatrices ne regrettent rien. Ils ont tout donné pour faire vivre leurs marques. “C’est dur de se dire que c’est fini. De prendre la décision d’arrêter de se perdre. Mais j’avais essayé de trouver toutes les solutions possibles”, souligne Christina Lumineau, désormais institutrice, "une autre façon de partager des histoires".

C’est dur de se dire que c’est fini. De prendre la décision d’arrêter de se perdre. Mais j’avais essayé de trouver toutes les solutions possibles.

“Je ne suis pas triste. Je me suis éclatée. J’ai tenté et j’ai appris plein de choses. J’ai confirmé que la valeur liberté était fondamentale pour moi. Mais il fallait arrêter les frais. J’ai tout fait pour que ça marche et cela n’a pas marché. Professionnellement, j’ai envie de me former sur des sujets qui font sens. Si cela mène à d’autres projets, c’est super, si ce n’est pas le cas, tant pis. Quand on met le doigt dans l’entrepreneuriat, on continue souvent, quelle que soit la forme du projet !", ajoute Nolwenn Colléter. Pour Matthieu et Violette, c'est pareil : “on cherche des projets à impact, plus matures, pour capitaliser sur ce qu’on a appris".

Et de notre côté, consommateurs et consommatrices ? Avoir clairement conscience des réalités et difficultés des marques engagées nous aide à mieux appréhender la situation (cela tombe bien, ces entreprises misent la plupart du temps sur une transparence absolue !), pour mieux les soutenir, quand nous le pouvons, par nos actes d'achat.

Un message pour les consommateurs et consommatrices ?

Pour conclure, voici les messages que les créateurs et créatrices aimeraient faire passer...

"Ce qui est dur, c’est qu’on est constamment jugés par les consommateurs et consommatrices. Alors qu’ils n’ont pas forcément tous les tenants et les aboutissants. Ils se disent : mais pourquoi je paie ce pain d’épices à ce prix-là, alors que si je le faisais moi-même ça coûterait beaucoup moins ? Ils n’ont pas conscience des salaires, des cotisations, du coût de revient, des provisions à faire. Il faut essayer d’avoir une vision plus globale du rôle des entreprises !" Antoine Boileau (Délicassie et Hubert)

"À part les plus séniors, nous avons toujours vécu dans un univers où les produits sont là. On les achète, sans se poser de questions. Mais il faudrait redonner de la valeur aux choses, penser à tout ce que cela implique. C’est hyper nécessaire de ne pas consommer n’importe quoi, d’analyser, de réfléchir à ce qu’on achète. De donner de la valeur à ses achats. Quand un produit est conçu avec des matériaux nobles et des conditions sociales plus qu’acceptables, voire désirables, cela à un prix. Ce n’est pas un tee-shirt à 5 euros ou une bouilloire à 20 euros". Kareen Maya Lévy (Kippit)

"C’est difficile… À vrai dire, on avait aussi un problème d’alignement avec nos achats à nous : on consommait beaucoup en seconde main ! Mais il faut continuer à faire des efforts, quitte à consommer moins, avec des marques responsables et françaises, qui créent des emplois. Pour maintenir un écosystème qui innove (sur la durabilité, le recyclage…). Tout cela tient à partir des choix de consommation des gens". Matthieu Jungfer (Atelier Unes)

"C’est important de soutenir les marques en consommant moins mais mieux. Cela a forcément un coût. Mais c’est la seule façon de préserver vraiment l’environnement". Christophe Lemaire (Les Puzzles du Poulpe)

 "J’ai voulu faire une proposition, les gens n’ont pas forcément été au rendez-vous. Nos choix de consommation sont personnels et nous sommes tous faits d’ambiguïtés. Il y a parfois un désalignement entre ce que les gens veulent et peuvent acheter ! C’est compliqué de développer une marque engagée. Le greenwashing de tous les côtés complexifie le message pour les gens. Pour celles et ceux qui veulent aider des petites marques engagées : chaque commande compte, quel que soit son montant ! La personne va découvrir la marque, en parler à son premier voire à son deuxième cercle… C’est toujours le début de quelque chose". Nolwenn Colléter (Andarta) 

"Il faut soutenir les éditeurs locaux, aller dans des salons pour les rencontrer, dans les bibliothèques où ils interviennent souvent… On n’imagine pas la production qui existe ! Il faut aller les voir. Et avoir conscience que les livres n’ont pas le même prix que chez les grands éditeurs". Christina Lumineau (Laplikili)

"C’est intéressant de se rendre compte qu’il ne faut pas mettre toutes les entreprises dans la même case de responsabilité, car elle en sont pas toutes au même niveau. On ne peut pas comparer une PME industrielle avec une petite entreprise artisanale !" Simon Guyomarch (Déco'smétique)

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À propos de l'autrice
Lucie de la Héronnière
Responsable éditoriale
Lucie a travaillé pendant une dizaine d'années pour la presse et l'édition. Sa spécialité ? L'alimentation et ses enjeux. Pour Bien ou Bien, elle plonge désormais dans toutes les facettes de la consommation responsable.

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