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TVA verte : "L’État doit mettre en place un terrain de jeu équitable"

TVA verte : "L’État doit mettre en place un terrain de jeu équitable"

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En 2009, Emery Jacquillat relance Camif, avec un modèle encore pionnier, basé sur les responsabilités sociales, sociétales et environnementales de l’entreprise. Dès 2017, ce PDG aux multiples casquettes s’implique sur le sujet de la TVA verte. Interview de l’entrepreneur le plus engagé sur le sujet.
Emery Jacquillat et Antoine Eno, PDG d'Eno, fabricant de planchas Made in France, lors du lancement de la pétition de Camif en faveur d'une TVA responsable, en 2017.

🟢 Cette semaine, Bien ou Bien s'engage en faveur d'une TVA verte ! Consultez notre tribune par ici.

Dès 2017, vous avez lancé avec Camif une pétition “pour une TVA réduite sur les produits durables”. À l’époque, le sujet était encore peu médiatisé et politisé. Quel était le contexte ? Qu’est-ce qui vous a poussé à cet engagement ? 

Depuis 2009, nous avons vu disparaître certains de nos fabricants français. De plus, en 2017, nous venions tout juste d’inscrire notre raison d’être dans nos statuts [Camif a ensuite obtenu la qualité de société à mission en 2020, avec 5 grands objectifs associés, ndlr], en insistant notamment sur la mobilisation de notre écosystème et sur l’invention de nouveaux modèles de consommation et de production. 

Il n’y aura pas de consommation responsable sans production responsable… Et vice versa ! Notre constat, en 2017 comme aujourd’hui, c’est qu’il existe une iniquité dans l’accès au marché. Des produits de grand import ne respectant pas notre socle de normes sociales et environnementales arrivent en France. 

C’est une concurrence déloyale. On marche sur la tête ! Pour moi, ce n’est pas un malus qu’il faut donner à Shein, mais une interdiction d’entrer sur le marché européen ! Le Made in France n’est pas trop cher. Le Made in France est au prix juste. Ce qui est injuste, c’est le dumping social et environnemental de ces multinationales. 

Le Made in France n’est pas trop cher. Le Made in France est au prix juste. Ce qui est injuste, c’est le dumping social et environnemental de ces multinationales. 

Dans ces conditions, la fiscalité vous semble un levier efficace ?

Pour faire face à cela, tous les acteurs ont un rôle à jouer : les consommateurs et consommatrices (la demande), les entreprises (l’offre) et l’État. Sa responsabilité, c’est de préserver une forme d’équité. Pour cela, la TVA est un outil simple à utiliser et perçu de manière positive. 

Ce n’est pas normal de taxer un produit Made in France éco-conçu avec le même taux qu’un produit fait en Chine à partir de ressources limitées. Ce n’est pas normal de taxer la réparation avec le même taux qu’un produit 1er prix neuf. Parfois, la réparation coûte plus cher que le neuf, c’est une aberration ! Nous pouvons rectifier cela par l’utilisation de la TVA, pour que la production écoresponsable et locale change d’échelle. Ce n’est pas juste avec nos petits bras que nous allons y arriver. Pas juste avec la volonté des consommateurs et consommatrices. Nous avons besoin d’un terrain de jeu équitable, mis en place par l’État. 

Ce n’est pas normal de taxer un produit Made in France éco-conçu avec le même taux qu’un produit fait en Chine à partir de ressources limitées.

En 2017, la pétition a obtenu plus de 14 000 signatures. C’était un premier pas, pour faire du bruit, poser le sujet et la problématique. Le deuxième pas, c’était de faire bouger les politiques. J’ai remis la liste des signataires à Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique. Il m’a répondu : “malheureusement, pour le taux de TVA, c’est l’Europe qui décide” [une directive européenne liste les biens et les services pouvant bénéficier d’un taux réduit, ndlr]. Puis, il est parti et le sujet a été enterré. 

En 2023, vous avez été sollicité par Christophe Béchu, l’actuel ministre de la Transition écologique, pour rédiger un rapport sur la mise en place d’une TVA circulaire, avec Emmanuelle Ledoux, directrice de l’Institut national de l’économie circulaire. Comment avez-vous travaillé ?

Pendant 2 mois, nous avons interrogé de nombreux acteurs de l’économie circulaire, du recyclage, des éco-organismes… Parmi nos observations, un gros problème d’offre : il n’y a pas assez de réparateurs. L’enjeu, c’est d’inverser la tendance. 

Nous ne sommes pas des experts de la fiscalité. Mais nous avons une conviction : la TVA peut être un bon outil pour renforcer cette offre insuffisante. Nous assumons le fait qu’il n’y aura pas forcément un énorme impact sur les prix, mais plutôt sur les marges, qui permettront par exemple de créer des emplois mieux valorisés. On a besoin d’un modèle économique de la réparation et de l’éco-conception qui tienne la route. 

Quelles sont les principales conclusions du rapport ?

Christophe Béchu, Emanuelle Ledoux et Emery Jacquillat, lors de la remise du rapport.
Christophe Béchu, Emmanuelle Ledoux et Emery Jacquillat, lors de la remise du rapport.

Tout d’abord, il faut appliquer tout de suite une TVA à 5,5% pour la réparation. La directive européenne qui encadre les taux réduits de TVA nous le permet déjà [celle-ci autorise l’application d’un taux réduit pour “les prestations de services de réparation d’appareils ménagers, chaussures et articles en cuir, vêtements et linge de maison (y compris les travaux de raccommodage et de modification)”, ndlr]. Et ce en mesurant l’impact économique, social et environnemental de ce taux réduit !

Ensuite, il faut ouvrir aux taux réduits de TVA d’autres secteurs de la réparation (ameublement, outillage…), en révisant cette directive européenne. Et il faut inciter à l’éco-conception : il n’y a pas de réparation possible sans éco-conception ! Nous pourrions par exemple nous appuyer sur l’affichage environnemental, actuellement en phase d’expérimentation dans plusieurs secteurs, pour proposer une TVA réduite pour les produits classés A. Ainsi, plus de fabricants et de clients s’intéresseraient à l’éco-conception. 

👉 Pour en savoir plus sur les conclusions du rapport, consultez le document par ici !

Est-ce qu’une TVA verte coûterait de l’argent à l’État ? 

Non, et c’est un point clé. Mieux vaut une TVA réduite sur une activité de réparation en développement plutôt qu’un taux de TVA élevé sur une activité de réparation quasiment inexistante et en déclin (on est passé de 45000 cordonniers dans les années 1950 à seulement 3500 actuellement…). De la même manière, si par la TVA circulaire, on arrive à faire basculer une petite partie de la consommation sur des  produits éco-conçus (souvent 50% à deux fois plus cher), le rendement pour l’État sera supérieur à une TVA à 20% sur du premier prix de grand import... L’économie circulaire, pour l’instant, c’est une goutte d’eau ! L’Etat va y gagner : une TVA réduite, mais sur un plus grand panier moyen et sur davantage de réparations.

De plus, le développement de l’éco-conception et de la réparation vont créer des emplois non délocalisables sur nos territoires. Par exemple, on ne va pas aller faire réparer un lave-linge en Chine ! Donc c’est une mesure vertueuse qui apporterait beaucoup aux entreprises locales et aux territoires. 

C’est une mesure vertueuse qui apporterait beaucoup aux entreprises locales et aux territoires. 

Quelle a été la réaction du gouvernement ?

La réaction de Christophe Béchu a été très positive. ll faut maintenant franchir la barrière de Bercy… C’est quasiment un dogme pour le ministère de l’Economie et des Finances, qui refuse d’utiliser la TVA pour les sujets de transition écologique, comme le mentionnait un rapport récent du Conseil des prélèvements obligatoires (CPO) estimant que la TVA doit avant tout rester un impôt de rendement pour les finances publiques… 

Notre enjeu, c’est d’inscrire tout cela dans le Projet de Loi de Finances (PLF) 2025. Aujourd’hui, cette TVA réduite est vraiment le rouage manquant pour passer à l’échelle et accélérer la transition écologique. Au niveau européen, nous avons besoin de toucher à cette directive et de donner plus de latitude aux pays, pour passer d’une économie linéaire à une économie circulaire.

Aujourd’hui, cette TVA réduite est vraiment le rouage manquant pour passer à l’échelle et accélérer la transition écologique.

Depuis 2017, avez-vous observé une évolution dans la prise de conscience sur ces sujets ?

Le Covid-19 est passé par là. Les thématiques environnementales sont de plus en plus prégnantes. Mais il y a aussi l’inflation, l’invasion des prix bas venus de Chine, la guerre, les budgets contraints. Aujourd’hui, nous sommes plus avertis, mais la marge de manœuvre est plus réduite. Et la volonté de consommer plus responsable ne se traduit pas forcément dans les actes par une consommation effective. 

En 2009, quand on a relancé Camif autour du Made in France, on était très pionniers. Aujourd’hui, c’est à la mode. Le sujet est largement connu mais encore alternatif. Il y a plus de conscience, mais pas encore de volonté forte de passer à l’action. Du côté du gouvernement, il faut questionner les budgets. Ce sont des décisions politiques : sur quoi veut-on mettre des moyens ? 

Il faut garder espoir. Les entreprises sont des leviers de transformation… Mais pour cela, il faut que les entreprises s’en sortent ! C’est au cœur de la mission de Camif : sortir du simple métier pour faire du plaidoyer. L’entreprise à mission a une portée politique. Le lobby des grosses boîtes intervient dans la fabrique de la loi… Nous devons aussi faire entendre nos voix, avec des propositions venues du terrain. C’est aussi pour cela, qu’avec le Mouvement impact France, la Communauté des Entreprises à Mission et 15 réseaux européens, nous avons lancé la coalition Business For Better Tomorrow.

L’entreprise à mission a une portée politique. Nous devons aussi faire entendre nos voix, avec des propositions venues du terrain.

Une TVA réduite serait un premier pas efficace. En dehors de cette mesure, quels autres leviers pourrait activer l’État pour agir ?

L’Etat a trois leviers : la fiscalité (avec la TVA, mais aussi par exemple avec l’impôt sur les sociétés, qui pourrait dépendre des engagements des entreprises). La réglementation, ensuite (avec des textes comme la loi sur le devoir de vigilance). Et enfin la commande publique (aujourd’hui, on ne peut pas privilégier le local dans les appels d'offres). 

Tout cela peut avoir un poids massif pour les entreprises locales et écoresponsables, pour privilégier un modèle à faire naître. Pour cela, il faut que les 3 grands acteurs clés de la transition bougent en même temps : citoyens-consommateurs, entreprises et États. Et pour éviter le triangle de l’inaction, et passer à la roue de l’action, accélérer vers l’économie circulaire, chaque mesure est bonne à prendre : la TVA est une pièce du rouage à activer au plus vite !

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À propos de l'autrice
Lucie de la Héronnière
Responsable éditoriale
Lucie a travaillé pendant une dizaine d'années pour la presse et l'édition. Sa spécialité ? L'alimentation et ses enjeux. Pour Bien ou Bien, elle plonge désormais dans toutes les facettes de la consommation responsable.

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