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"Les 3/4 de nos déchets ménagers pourraient ne pas exister si nous adoptions des postures différentes"

"Les 3/4 de nos déchets ménagers pourraient ne pas exister si nous adoptions des postures différentes"

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Pour se tourner vers le zéro déchet, encore faut-il pouvoir analyser et comprendre le contenu actuel de nos poubelles. ID s’est entretenu à ce sujet avec Jean Louis Bergey, expert national économie circulaire et matières premières, à la Direction Économie circulaire et Déchets de l’Agence de la Transition écologique (ADEME).
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[Cet article a été initialement publié dans le guide IDÉES PRATIQUES #6 : Se mettre (vraiment) au zéro déchet : mode d'emploi, réalisé par ID L'Info Durable.]

Aujourd’hui, en France, de quoi sont composées les poubelles d’ordures ménagères ?

En fait, il y plusieurs poubelles suivant les collectivités et le type d’habitat. Il peut y avoir : une poubelle pour la collecte séparée des emballages, papiers et journaux/magazines, soit dans le local poubelle, soit en individuel en maison, soit dans des conteneurs sur la voie publique (souvent le verre est séparé des autres types de déchets) ; une poubelle pour les déchets organiques (déchets biodégradables ou biodéchets), soit pour les mettre dans un composteur domestique (dans le jardin ou à l’intérieur), soit dans des conteneurs spécifiques individuels ou dans le local poubelle, soit pour les amener à des composteurs collectifs (pieds d’immeuble, quartiers) ; une poubelle pour le reste que l’on appelle ordures ménagères résiduelles (OMR).

Mais un ménage doit mettre de côté des déchets dont il va se débarrasser d’une autre façon : ce peut être le cas des textiles pour les mettre dans des bornes ou les porter à des associations, des déchets verts, des gravats ou autres encombrants à porter à la déchèterie, des piles, équipements électriques cassés à rapporter dans des points de collecte dans des magasins ou encore tout objet en bon état que l’on souhaite porter à une association ou vendre sur un site de revente. Si l’on excepte toutes ces dernières catégories et le compostage domestique et collectif, la poubelle moyenne française (en incluant donc les collectes séparées et les OMR) est constituée des éléments suivants :

dechets chiffrés
ID L'info durable

Quels déchets jetons-nous trop souvent aux ordures ménagères alors qu’ils n’y ont pas leur place ?

Si on regarde la poubelle des ordures ménagères résiduelles, une grande partie (88 %) pourrait suivre des filières de valorisation matière, notamment : les biodéchets (38 % des OMR soit 100 kg/hab/an et 6,6 Mt au niveau national dont 11,5 % liés au gaspillage alimentaire soit 29kg/hab/an) et qui devront faire l’obligation d’une valorisation au plus tard au 31 décembre 2023 (loi AGEC du 10/02/2020) ; les déchets d’emballages, papiers et journaux/magazines qui devraient être dans les collectes séparées ad’hoc (35 % des OMR soit 92 kg/hab/an et 5,7 Mt au niveau national) ; les textiles, également objets de collectes séparées pour 5 % des OMR soit 13 kg/hab/an et 855 kt au niveau national.

Les deux dernières catégories peuvent immédiatement être sorties de la poubelle des OMR car des services existent dans toutes les communes (services porte à porte ou conteneurs collectifs sur la voie publique). Pour les biodéchets, la partie liée au gaspillage alimentaire (nourriture achetée emballée ou pas et non utilisée) peut être facilement diminuée en faisant attention au contenu de son placard avant de faire les courses et en vérifiant les dates limites de consommation.

Pour les autres biodéchets, c’est faisable dans certains cas et plus difficile dans d’autres. Les ménages avec un jardin, quelle que soit sa taille, peuvent facilement composter les biodéchets dans leur terrain et utiliser le compost dans le potager ou les parterres. Pour les autres, ce peut être plus compliqué. Les composteurs dits "d’appartement" existent mais leur utilisation demande un peu d’attention. Sinon, il faut demander à la collectivité d’organiser un service de collecte dédié. On peut également proposer à sa commune d’aider à la mise en place d’un composteur collectif.

Quels déchets pourrions-nous pourtant vraiment limiter, de base ?

L’ADEME a réalisé en 2016 une étude* visant à estimer les potentiels de réduction associés à certains gisements d’évitement en prenant en compte l’adhésion aux gestes de prévention. Cette étude a analysé plusieurs actions possibles de prévention et notamment : la prévention du gaspillage alimentaire au plan domestique et dans la restauration collective ; la promotion de produits peu générateurs de déchets d’emballages ; le développement de la vente en vrac; la promotion de l’eau du robinet ; le développement de la consigne pour le réemploi des bouteilles en verre ; la réduction des imprimés non sollicités (stop pub) ; la réduction des papiers d’impression ; la réduction de l’utilisation des sacs à usage unique ; le recours aux couches lavables ; le réemploi et la réutilisation de textiles, linges et chaussures ; la promotion de la gestion de proximité des biodéchets (compostage domestique ou partagé).

Si on applique ces actions aux déchets que nous jetons (collectes séparées et OMR), on pourrait éviter 75 % des déchets que nous produisons. Parmi les quantités les plus importantes, il y a 30 % en utilisant des produits peu générateurs de déchets d’emballages ; 29 % par le compostage domestique ou partagé ; 13 % s’il y avait une consigne du verre pour réemploi. Le gaspillage alimentaire représente 9 % soit 29 kg/hab/an.

*Étude d’évaluation des gisements d’évitement, des potentiels de réduction de déchets et des impacts environnementaux évités. Étude réalisée par GIRUS pour l’ADEME, 121 pages, janvier 2016.

Tous ces déchets ménagers et assimilés, que deviennent-ils ?

Depuis 2000, les évolutions sont très marquées à savoir : une augmentation très forte des déchets destinés à la valorisation matière (139 %) ; une augmentation significative des déchets incinérés (+12 %) en partie liée à un déport du stockage vers l’incinération qui est en quasi-totalité (99 %) suivie d’une valorisation énergétique; une forte baisse des déchets stockés (mis en décharge : -33 %) liée au développement des collectes séparées et aux fermetures de centres de stockage avec délestage en partie sur l’incinération.

Globalement, y a-t-il une tendance à l’augmentation ou à la diminution de la quantité de déchets ménagers et assimilés en France ces dernières années ? Et pourquoi ?

Déchets produits par les ménages
ID L'info durable

Si l’on regarde la totalité des déchets produits par les ménages (y compris donc les apports en déchèteries), on voit que la quantité évolue peu depuis 2008. En fait, le graphique ci-dessous montre la quantité de déchets ménagers et assimilés collectés dans le cadre du service public.

Il peut donc y avoir des diminutions liées, par exemple, au compostage domestique ou à des dons aux associations qui ne sont pas une réelle diminution de la production mais qui ne sont pas comptabilisés. Une autre façon de regarder la production de déchets est de la comparer à l’évolution du PIB et là encore, les courbes restent assez parallèles ce qui signifie que la société a des difficultés à "réduire" sa production de déchets malgré les progrès accomplis, notamment par les entreprises. Cela est dû en grande partie au fait que nos modes de consommation n’ont pas suffisamment changé.

destination des déchets
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Nous l’avons vu plus haut, les ¾ de nos déchets ménagers pourraient ne pas exister si nous adoptions des postures différentes. En réalité, cette "simple" question de la production de déchets touche aux fondamentaux et aux imaginaires de notre société : posséder est le maître mot y compris au-delà de nos besoins. Il est donc nécessaire d’avoir systématiquement une réflexion sur nos actes de consommation en se posant la question de savoir si nous en avons besoin ou si ne pourrions pas remplacer la possession par le service. Par exemple, dans une bibliothèque, si un livre est lu 30 fois dans l’année, cela aura évité l’impression de 29 livres qui auraient été achetés avec tous les impacts environnementaux et la consommation de ressources que cela génère et autant de déchets à terme.

Pourquoi ne pas faire pareil avec d’autres objets que nous utilisons peu dans l’année comme le matériel de bricolage ou d’électroménager (par exemple le service à raclette qui ne sert que 2 fois/an) ? Pourquoi ne pas généraliser les lave-linge dans les résidences plutôt que d’en avoir un dans chaque appartement ?

Aller vers la sobriété permettra non seulement de moins consommer de ressources naturelles mais également de permettre le partage de ces ressources avec ceux qui n’accèdent pas aux besoins de base dans nos sociétés développées et dans les pays émergents.

Il est nécessaire d’avoir une réflexion sur nos actes de consommation en se demandant si nous en avons besoin ou si nous ne pourrions pas remplacer la possession par le service.

Pour ce qui est de la poubelle jaune : l’acte de tri des Français est-il bien assimilé ? Avons-nous suffisamment le réflexe du tri ?

En 2017, 4,4 Mt de déchets d’emballages et de papiers ont été collectés séparément mais il en restait entre 4 Mt et 5,7 Mt (suivant les consignes de tri) dans les ordures ménagères résiduelles. On peut donc considérer que l’acte de tri sur ces déchets n’est pas encore complètement assimilé même s’il y a des différences entre les matériaux. Par exemple, le taux de collecte est de 69 % pour le verre alors qu’il n’est que de 10 % pour les emballages en aluminium. Le constat est à peu près le même pour d’autres types de déchets comme les déchets d’équipements électriques et électroniques ou les textiles avec des variations entre chaque type de déchets.

Que devient le contenu de cette poubelle jaune généralement ? Le plastique, par exemple, est-il suffisamment recyclé ?

En 2019, 70 % des emballages ménagers et 57 % des journaux/ magazines collectés dans la poubelle jaune étaient recyclés (source Citéo, rapport annuel 2019) pour un objectif de 75 % prévu pour 2012. Cela est dû à plusieurs facteurs, à savoir le taux de déchets indésirables dans la poubelle jaune, la performance du tri et les débouchés qui peuvent varier d’une année sur l’autre.

Le recyclage des plastiques varie suivant que l’on considère les bouteilles et flacons (61 % des quantités collectées séparément) ou les autres emballages (5 %). D’une façon générale, le recyclage des plastiques par rapport aux quantités mises sur le marché est assez faible.

Que représente économiquement le secteur des déchets ?

En 2017, 111 650 emplois étaient liés au secteur des déchets et de la dépollution soit un peu plus qu’en 2016 (+3 450 ETP) après une diminution de la même ampleur entre 2015 et 2016. Les années récentes marquent une stabilisation des emplois du secteur, après une période de forte croissance (+23 %) de 2004 à 2012. Le chiffre d’affaires du secteur s’élevait alors à 20,5 Md€ dont 3,817 Md€ pour la collecte des déchets non dangereux des entreprises et des ménages.

Propos recueillis par Camille Dufétel.

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