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"Si l'on souhaite consommer bio, on peut, quels que soient ses moyens"

"Si l'on souhaite consommer bio, on peut, quels que soient ses moyens"

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Leader européen en termes de production biologique, la France a connu en 2021 une baisse de ses ventes. Entretien avec Laure Verdeau, directrice de l’Agence Bio, qui soutient le développement et la promotion de l’agriculture biologique.
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[Cet article a été initialement publié dans le guide IDÉES PRATIQUES #11 : Tout savoir sur l'alimentation bio, réalisé par ID L'Info Durable]

Pour la première fois, le marché bio accuse un recul en France. Comment son paysage se dessine-t-il ?

C’est un marché qui est beaucoup plus diversifié que le marché de l’alimentaire en général. Les Français et les Françaises font en moyenne 70 à 80 % de leurs courses en grande distribution, mais lorsque l’on parle de produits bio, ils n’en achètent qu’une moitié. Le marché fait plus de 11 % de son chiffre d’affaires en vente directe, tandis que celle-ci ne représente à l’échelle nationale qu’ 1 à 2 % du circuit alimentaire total. Les produits bio, globalement, ne s’achètent pas sur "l’autoroute" de la grande distribution mais plutôt sur une sorte de "départementale". 28 % du chiffre d'affaires passe par exemple par les 3800 magasins spécialisés du territoire. Autrement, le marché s’étonne en effet pour la première fois de ne pas connaître une croissance à deux chiffres.

Les agriculteurs et agricultrices bio font du bien à tout le monde.

Comment expliquer cette chute ?

Aujourd’hui, on assiste à quelque chose de similaire à la croissance de la demande de lait après des campagnes de pub pour inciter les Français et les Françaises à consommer des produits laitiers. Ce changement du taux de croissance oblige le marché à s’outiller pour concilier son offre et sa demande alors que certains segments du secteur sont en train d’arriver à maturité. Jusqu’ici, celui-ci était plutôt en panne d’offres, les agriculteurs produisaient encore et encore et peinaient à satisfaire la demande tant elle était forte. Désormais, nous avons de plus en plus d’agriculteurs qui souhaitent passer en bio et cela serait inenvisageable de leur dire de rester en conventionnel : il faut pouvoir les accueillir.

Le moteur principal est donc la baisse de la demande face à une hausse de l'offre disponible...

Il y a effectivement un ralentissement atypique de la demande qui a amené les acteurs du marché à se poser des questions qui, jusqu’ici, n’étaient pas d’actualité. Mais l’on confond beaucoup le ralentissement global du marché avec celui de certains circuits structurés tels que la grande distribution. Pourtant, certains segments restent très dynamiques, à l’image de la vente directe de produits bio qui a connu une croissance de 8 %.

Pour répondre à ces enjeux, il faudrait donc accélérer la demande ?

C’est notre responsabilité de citoyens et de consommateurs de se mobiliser pour que la demande permette d’absorber la production. Les agriculteurs bio font du bien à tout le monde, ce sont ceux que l’on souhaite avoir comme voisins, qui n’utilisent pas de pesticides de synthèse, qui préservent la qualité de l’eau... Si les agriculteurs veulent produire en bio mais que la demande n’est pas assez tonique, il faut trouver des débouchés. La restauration – collective ou gastronomique - a donc aussi son rôle à jouer et ne peut pas aujourd’hui, ne pas être durable. Il existe 76 000 restaurants qui peuvent tous contribuer à générer des débouchés pour les agriculteurs bio, du kébab à l’étoilé. Il y a donc une vraie révolution à faire.

On parle d'un marché qui arrive à un "premier niveau de maturité" : l'offre bio, de plus en plus large, ne se fond-elle pas dans la masse ?

Il s’agit de l’enjeu principal. Le bio, un label public, relève de la loi. Il est contrôlé par des organismes certificateurs indépendants. Mais dans les rayons, nous trouvons des allégations marketing de deux ou trois acteurs privés qui disent "faire tout en bio représente trop de travail, on va donc juste en reprendre un bout, saucissonner ses promesses". C’est le cas de Casino par exemple. Ces pratiques, que l’on peut qualifier de "simili-bio", détournent les consommateurs et consommatrices d’une véritable consommation biologique.

Il est de plus en plus difficile de faire des choix durables dans les rayons de supermarché, compte tenu du bruit de fond sur l’agroécologie qui perd les consommateurs et consommatrices.

Quelles sont les conséquences qu’entraîne ce type de pratiques sur le marché ?

C’est très dommageable parce qu’en réalité, le bio profite à tous et permet de faire des économies. Ce point a été démontré par la Cour des comptes. Malheureusement, le bio n’a pas de voix, on est muet. Il y a par exemple 30 millions d’euros de budget d’Interbev pour dire "Aimez la viande, mangez-en mieux", mais il n’y a pas les moyens alloués pour dire, un soir de grande écoute, "si vous mangez bio, vous augmentez la biodiversité de 30 %, vous avez accès à une eau de qualité, vous évitez l’utilisation de pesticides de synthèse"...

Or, on sait que plus on est renseigné sur la question, plus on a tendance à en consommer et ce, quel que soit son pouvoir d’achat. Nous sommes ainsi dans une situation de déficit d’informations. Il est de plus en plus difficile de faire des choix durables dans les rayons de supermarché, compte tenu du bruit de fond sur l’agroécologie qui perd les consommateurs et consommatrices. Pour que le bio continue d’être tiré par la demande, il faut que les citoyens puissent faire des choix éclairés.

La question du pouvoir d'achat est justement le grand sujet du moment, avec une inflation à plus de 6 % en 2022. Ainsi, on entend souvent que la consommation d'une alimentation bio coûte cher. C'est une idée reçue ?

Lorsque vous dépensez un euro de plus dans une logique de consommation responsable pour un produit porteur d’allégation marketing d’une entreprise privée... Je ne suis pas sûre que vous en ayez pour votre argent. À l’inverse, suffisamment de chercheurs et d’agronomes travaillent à prouver que le bio bénéficie à tous. Et si l’on souhaite consommer bio, on peut, quels que soient ses moyens. La grande distribution représente 18 000 points de ventes sur le territoire et tous vendent du bio. À l’inverse, les structures qui vendent en direct des produits issus de l’agriculture biologique représentent 26 000 points de vente. Ce maillage, en plus de faciliter ce type de consommation, permet d’y accéder à moindre coût puisqu’il n’y a pas d’intermédiaire.

On entend beaucoup dire "on ne sait pas ce qu’il y a derrière, est-ce que ce n’est pas du greenwashing ?"... C’est un comble lorsque l’on considère que le bio est la forme d’agriculture la plus contrôlée.

Qu’est-ce qui freine encore les consommateurs et consommatrices dans ce cas ?

Selon le baromètre que l’on réalise chaque année, le premier frein est le prix. Mais cette tendance s’érode au fil des années : elle représentait 77 % des réponses il y a trois ans, 75 % l’an passé et 70 % cette année. En revanche, la défiance des consommateurs dessert le bio. On entend beaucoup dire "on ne sait pas ce qu’il y a derrière, est-ce que ce n’est pas du greenwashing ?"... C’est un comble lorsque l’on considère que le bio est la forme d’agriculture la plus contrôlée.

En revanche dans cette situation d’inflation, bien que l’on n’ait pas fini de mesurer les arbitrages, il faut recontextualiser. Si les Français et Françaises mangent moins bio, ils mangent surtout moins tout court. Le prix d’un panier moyen a baissé ces derniers mois, ils font moins de courses et moins fréquemment. Enfin, il faut aussi préciser que l’inflation dans les rayons bio est plus ressentie que réelle. C’est une situation inédite : sur le marché du bio, elle évolue moins vite qu’ailleurs. Pour la première fois par exemple, le blé non bio est plus cher que le bio. On explique cela par le fait que ce dernier est vendu par l’agriculteur à la coopérative, puis transformé en pain ou en biscuit. Tandis que le blé classique va changer sept fois de propriétaire sur les marchés mondiaux en étant coté à la Bourse de Chicago.

Enfin, il y a toujours ce biais psychologique selon lequel "bio" est associé à "cher". Lorsque l’on mange plus bio, il peut en effet y avoir un surcoût. Mais on ne peut en réalité comparer deux paniers bio et non-bio puisque l’on ne fait alors pas ses courses de la même façon. Il y aura une tendance à manger plus de saison, moins carné... On estime qu’il faudrait 18 à 24 mois pour aplanir les surcoûts d’une conversion à l’alimentation bio. L’IFOP a par ailleurs publié une étude mettant en avant l’idée que pour faire des économies, il faudrait cuisiner davantage de produits bruts : cela va dans le sens de l’alimentation bio. Il faut bien démontrer que l’idée du prix du bio ne doit finalement pas se regarder à l’étiquette. Personnellement, je suis toujours hallucinée lorsque l’on me sert un café Nespresso à 30 € le kilo.

La "transition alimentaire" passe-t-elle uniquement par la conversion à l’alimentation bio ?

La transition alimentaire est quoiqu’il en soit indispensable, quel que soit son pouvoir d’achat ou la situation d’inflation. Pour nous, celle-ci relève de six leviers qui dépassent en effet le clivage "bio", "non bio" : cuisiner plus, gaspiller moins, acheter en direct, en vrac, de saison et enfin varier ses protéines.

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